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Par: Ousmane ALÉDJI

« La vérité est que le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est  propagée ; notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route ; cette Europe-là est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire »  .

Secret de Polichinelle : voici une bonne vingtaine d'années que je me suis promis de travailler sur deux personnages emblématiques: HAMLET de Shakespeare (lieu de révoltes) et AIMÉ CÉSAIRE - une éruption foudroyante mais aussi un FÂ majeur, le signe prophétique qui résume un millénaire.

J'ai essayé de ranger le premier avec plus ou moins de réussite en reproduisant son insurrection dans certains de mes textes. Prétentieux sans doute mais cela a suffi à me calmer. Le second, CÉSAIRE, lui, s'est installé au milieu de ma gorge comme une espèce de champion incorruptible, la bête qui reprend de l'allure dès que je l'arrose d'un peu de colère. Bref ! L'écriture va à l'écriture comme l'eau va à la rivière.

Je veux dire que ce que nous appelons depuis quelques semaines au Bénin '' l'incident de Paris'' m'a choqué aussi. J'ai été choqué comme beaucoup d’autres africains; à tel point que le CÉSAIRE qui sommeillait en moi s'est réveillé. Certes, il faut être dans la tête des différents protagonistes de cette affaire pour savoir pourquoi cet étalage d’irrespects, de quiproquos et d’incongruités sur la place publique. Il ne s’agit donc pas d’une prise de position chauviniste. Quoique (…) Mais, ne pas saisir l’occasion que nous offre un incident aussi gros pour revisiter la France-Afrique à la Macron, nous rendrait complice de tout ce qui va suivre. Le pire n’est pas toujours derrière nous.

Le commencement de l'insulte.

J’évoque CÉSAIRE ici parce qu’il me semble qu’il a posé bien avant un grand nombre de nos pères et bien mieux que tous, une équation essentielle quant aux relations entre l’Afrique et l’occident ; relations entre leurs peuples, relations entre leurs dirigeants, relations entre leurs cultures et leurs mystères. Ce qui s’est passé à Paris, qu’on le veuille où pas, a des origines lointaines, historiques.

Qui parle de relations, parle de rencontres et d’échanges, donc de contacts. C’est du reste l’objet du voyage effectué par le Président béninois. La dessus, CÉSAIRE remonte à la première rencontre historique avec la France: «… la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’établir contact, était-elle la meilleure ?

Nous répondons non. Et nous disons que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.

Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viêtnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en Europe on accepte, une fillette violée et qu’en Europe on accepte, un Malgache supplicié et qu’en Europe on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort.

CÉSAIRE parle ici ‘’d’Europe’’ pour ménager certains de ses amis français. Tout le monde sait à qui il s’adresse. D’ailleurs le candidat Emmanuel MACRON a reconnu devant les caméras et vieux arkis, à Alger, « le crime contre l’humanité » dont a été victime l’Afrique. Il a même demandé pardon. Sur le fait, j’ai eu la faiblesse de le prendre au sérieux. Et j’ai applaudi comme beaucoup d’autres, ravi du changement de discours et d’attitude envers l’Afrique de la part d’un jeune leader et très sérieux prétendant au trône français.

Mais là encore, CÉSAIRE avait la réponse juste: « En vérité, il est des tares qu’il n’est au pouvoir de personne de réparer et que l’on n’a jamais fini d’expier. Colonisateur, en pion, en adjuvant, en garde-chiourme, en chicote, et l’homme indigène, en instrument de production.A notre tour de poser une équation : colonisation = chosification.

Le nouveau régent

Comme pour honorer la mémoire de CÉSAIRE, Macron, du haut de ses attributs de Président, dira à ses concitoyens des Antilles d’arrêter de pêcher des comoriens. Ils sont moins précieux que des poissons. Chosification !!!

Point d’équivoque, Emmanuel Macron est décidé à s’assoir sur une diplomatie française empreinte de respect réciproque instaurée par son prédécesseur et parrain politique qu’il essaie d’ailleurs d’isoler. En bon colon, il ne redoute rien quand il s’agit de s’adresser aux ‘’indigènes’’ d’Afrique. Il s’offre le culot de l’injure publique, comme le firent ses ancêtres, un siècle avant lui : « Les africains ont un problème civilisationnel » affirme-t-il. Ah bon ??? Passons. Là, il répète avec un peu plus de finesse l’autre bougre, celui que tous les médias français désignent comme le sniffeur en chef du blé et du sang de Kadhafi. Rien de nouveau donc ! Depuis le temps que ça dure, ces africains ne sont  plus irrités par chaque muflerie. Mais, de là à accepter que Macron aille fourrer son nez sous les jupons féconds de ma tante… non. « Dans un contexte où les gens en sont encore à faire 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez investir des milliards ; ça ne sert à rien ». C’est du ‘’habamin’’ aggravé.

Qui parle ? Le Président français ? ‘‘Le petit colon’’ qui flotte dans ses apparats ou mon jeune frère de huit ans à qui je peux encore, s’il en fait la demande, pardonner bien des bourdes et des ignorances ? N’y a-t-il pas là (dans ce discours) de quoi recommander à nos sœurs d’éviter les contraceptifs fabriqués dans les laboratoires français ? Savons-nous seulement de quoi ils (les requins de la France-Afrique) sont capables ? Avons-nous une petite idée de ce qui se trame déjà contre nous, étant donné qu’ils se croient encore en droit de régenter notre mode de vie ?

En supposant même que le taux d’accroissement ‘’incontrôlé’’ de la population africaine explique en partie l’aggravation de la pauvreté sur le continent, cela rend-t-il légitimes les voles et les prédations les plus ignobles dont l’Afrique est victime?

Emmanuel Macron ignore-t-il que Le ‘’crime contre l’humanité’’ qu’il a reconnu et dénoncé se poursuit sous d’autres formes ? Est-il au courant de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ? Sait-il ce qui se passe à Kidal, à Benghazi ou encore, à Bangui ? Par quel nom veut-il que l’histoire l’appelle, vu la détermination avec laquelle il est visiblement entrain de perpétuer, rien ne l’y oblige, un système et des pratiques que lui-même reconnaît comme étant constitutifs de crime contre l’humanité ? Trouve-t-il soudain tout cela normal parce qu’il en est devenu le principal porte flambeau et le premier défenseur ? Normal, le franc CFA ? Vraiment ?

Parlant du franc CFA, Macron aurait répondu aux chefs d’Etats africains, à ceux parmi eux qui lui semblent un poil grincheux : « quand on ne veut pas appartenir à la zone cfa, on en sort, on va créer sa monnaie et on ferme sa gueule ». Comme à des enfants ! C’est à couper le souffle. Impossible de le voir venir avec ces mots là, avec ce vocabulaire là, dans ce contexte ci. Mais qui donc nous a parlés d’échanges équitables, de réciprocité ? Qui a pu nous faire croire qu’en matière de coopération, les limites existaient et qu’elles s’imposaient aussi à la bienveillante mère colonisatrice ?

Les temps ne changent pas ; pas fondamentalement.

Mis bout à bout, les déclarations, les commentaires et l’attitude de Marcon dans ses adresses à l’Afrique sont plus proches du mépris que du respect. Pourquoi ? Est-ce parce qu’entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, des élites décérébrées, des masses avilies ? Qu’il n’y a toujours « aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme », qui transforment l’un et l’autre.

Ce CÉSAIRE, il me semble que le temps est venu pour nous de lui rendre le souffle dont il nous a nourri. Non par gratitude, non par colère, non par besoin d’exorcisme égoïste, ni même par vengeance ; quoique tout ceci serait légitime et parfaitement assumé. Nous sommes tous capables d’arrogance «… car, il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie, que nous n’avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde »

Nous devons rouvrir CÉSAIRE parce qu’il faut répéter aux colons nouveaux qu’il y a bien longtemps que nous ne sommes plus dupes. «… et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur »

Nous devons rouvrir CÉSAIRE, l’offrir à nos enfants pour les décomplexer. «… et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force »

Rouvrir CÉSAIRE et le diffuser partout en Afrique, pendant des années, des décennies s’il le faut, afin que son sucre inonde l’humain au delà des frontières africaines. «… et il est place pour  tous au rendez-vous de la conquête »

Rouvrir CÉSAIRE enfin par foi en l’autre, dans l’espoir d’un rejet ‘’du crime contre l’humanité’’ par tous les peuples du monde, y compris par ceux auxquels le crime profite. «… et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule, et que, toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite ». 

Dans l’acte, l’histoire s’écrit. Emmanuel MACRON commence à écrire la sienne ; elle est en lettres minuscules. Pour l’instant.